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Abus du droit du salarié

Le salarié qui multiplie les menaces commet un abus de droit justifiant son licenciement

Le salarié qui réitère des propos ironiques révélant son insubordination face à son chef et veut l’intimider en le menaçant à plusieurs reprises de déposer plainte contre lui peut être licencié pour faute grave. Dans cette affaire, les juges ont retenu à la fois un abus du droit d’agir en justice et un abus de la liberté d’expression, solution assez rare pour être relevée.

Une révocation pour faute grave d’un conducteur de métro de la RATP

Un conducteur de métro à la RATP a été révoqué pour faute grave. Il saisit les juges pour en demander l’annulation.

Il avait déjà été en justice pour contester des sanctions disciplinaires prononcées à son encontre, demander une reconstitution de carrière et la réparation du harcèlement moral dont il estimait être victime. Il n’avait pas obtenu gain de cause.

Sa deuxième action en justice n’est pas plus couronnée de succès.

À noter : Un agent de la RATP relève à la fois d’un statut réglementaire spécifique et de certaines règles du code du travail. Ce statut prévoit notamment les conditions de cessation des fonctions des agents RATP. En particulier, il y est question de « révocation » au lieu de « licenciement ». Par ailleurs, les litiges des agents de la RATP avec leur employeur relèvent de la compétence des conseils de prud’hommes.

Des menaces répétées de dépôt de plainte constituent un abus de la liberté d’agir en justice

Le salarié se voyait notamment reprocher d’avoir tenté d’intimider son supérieur hiérarchique en le menaçant d’aller porter plainte contre lui du fait de sa convocation à un entretien disciplinaire.

Le salarié voyant là une atteinte à sa liberté fondamentale d’agir en justice, il considère que sa révocation est nulle. En effet, le licenciement prononcé en raison d'une action en justice susceptible d'être introduite par le salarié à l'encontre de l'employeur est nul (cass. soc. 21 novembre 2018, n° 17-11122 FSPB).

La cour d’appel donne tort au salarié en décidant que celui-ci avait abusé de son droit d’agir en justice. Elle relève que la menace de déposer plainte constituait une nouvelle illustration, dans un contexte global de menaces envers ses collègues et supérieurs, de la logique d'intimidation dont le salarié avait déjà fait preuve par le passé. En effet, il avait précédemment usé de cette menace à deux reprises sans la mettre à exécution. Il avait notamment affirmé « si demain vous me présentez une sanction, (…) je vais à la police porter plainte ».

Le salarié fait valoir devant la Cour de cassation que la nullité du licenciement prononcé en violation de la liberté fondamentale d’agir en justice n’est pas subordonnée à la démonstration du bien-fondé ou de la pertinence de cette action en justice.

Sans succès. La Cour de cassation approuve la cour d’appel.

Des propos ironiques réitérés révélateurs d’une insubordination constituent un abus de la liberté d’expression

Le salarié se voyait aussi reprocher une faute grave du fait de propos tenus à six reprises. Il avait notamment dit à son supérieur hiérarchique, devant témoins, « tout ce que vous dites ou faites est bidon de chez bidon ». Un autre jour, il avait affirmé « moi quand je suis dans mon train je pense... Vous, dans votre bureau vous ne pensez pas ».

Pour le salarié, il n’y avait pas là d’abus de sa liberté d’expression caractérisant une faute grave. Rappelons ici que chaque salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression. Un abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs peut justifier, selon les circonstances, un licenciement pour faute grave (cass. soc. 7 octobre 1997, n° 93-41747, BC V n° 303 ; cass. soc. 21 avril 2010, n° 09-40848 D).

La cour d’appel donne tort au salarié ici aussi. Elle souligne que l’ensemble des propos tenus par le salarié caractérisait un abus de sa liberté d'expression. Pour les juges d’appel, c’est le fait d’avoir tenu de manière réitérée des propos ironiques révélateurs de son insubordination face à sa hiérarchie, dans un contexte global de menaces envers ses collègues, qui était fautif.

Pour se défendre, le salarié faisait notamment valoir qu’en disant « bidon de chez bidon », il ne faisait que répondre à une menace de sanction parfaitement injustifiée, constitutive de harcèlement moral et caractérisant une provocation à laquelle il s'était borné à répondre. En outre, il reprochait aux juges d’appel de ne pas avoir indiqué en quoi ses propos auraient comporté des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs.

Une fois de plus, le salarié voit ses arguments balayés par la Cour de cassation. Pour celle-ci, la cour d’appel avait bel et bien caractérisé le caractère excessif des propos et donc un abus de la liberté d’expression, comme les juges du fond sont effectivement tenus de le faire (cass. soc. 23 septembre 2015, n° 14-14021, BC V n° 177).

En conclusion, la révocation du salarié pour faute grave n’était pas nulle pour atteinte portée à la liberté d’agir en justice, le salarié ayant abusé de cette liberté, et la faute grave était bel et bien caractérisée du fait d’un autre abus, celui de la liberté d’expression.

Cette affaire mettait aux prises un conducteur de métro avec son employeur, la RATP, mais au vu des circonstances de l’affaire, la solution aurait été, à notre sens, la même pour tout autre salarié du privé.

Cass. soc. 7 décembre 2022, n° 21-19280 FD