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Égalité salariale

Une salariée peut obtenir les bulletins de paye des salariés masculins auxquels elle se compare

La communication d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, tels que des bulletins de salaire, est admise s’ils sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée à la défense de l'intérêt légitime de la salariée à l'égalité de traitement entre hommes et femmes.

Une belle évolution de carrière mais une accusation d’inégalité salariale femme-homme

Dans cette affaire, la salariée avait été engagée par la société en qualité de structureur en janvier 2009. Elle avait ensuite occupé le poste de responsable projets transverses dérivés (chief operating officer ou COO) du 1er février 2013 au 22 janvier 2017 avant d'être nommée, le 23 janvier 2017, directeur stratégie et projets dans une autre société du groupe.

À la suite de son licenciement le 22 février 2019, elle a saisi la justice estimant avoir subi une inégalité salariale par rapport à certains collègues masculins occupant ou ayant occupé des postes de COO.

Afin d’obtenir des preuves, elle a demandé à la formation de référé de la juridiction prud'homale la communication d'éléments de comparaison détenus par ses deux employeurs successifs, dont les bulletins de salaire des collègues en question.

Sa demande s’appuyait sur l'article 145 du code de procédure civile (c. proc. civ. art. 145), qui est utilisé en matière de discrimination et qui permet à un salarié s’estimant victime de discrimination, mais ne disposant pas d’éléments suffisants, de saisir le juge de référé avant tout procès afin que celui-ci ordonne à l’employeur de communiquer des documents de nature à justifier l’introduction d’une action en justice.

Communication des bulletins de salaire des collègues masculins ordonnée à l’employeur

La cour d’appel avait ordonné aux deux sociétés de communiquer sous astreinte à la salariée les bulletins de paie de 8 salariés, pour les périodes de février 2013 à janvier 2017 pour les 4 premiers, de mars 2017 à mai 2019 pour le 5ième et de janvier 2017 à mai 2019 pour les 3 derniers. Les données personnelles pouvaient y être occultées à l'exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle détaillée (fixe et variable) et de la rémunération brute totale cumulée par année civile.

Les deux sociétés estimaient que fournir ces informations portait atteinte à la vie privée des salariés. Elles ont porté l’affaire devant la Cour de cassation mais en vain.

La Cour de cassation confirme l’obligation de fournir les bulletins de salaire et les éléments associés.

Vérifications préalables devant être réalisées par les juges

La Cour de cassation rappelle que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé (c. proc. civ. art. 145 ; cass. soc. 22 septembre 2021, n° 19-26144 FB).

Elle précise que le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux en application du principe de proportionnalité (règlt UE 2016/679 du 27 avril 2016 dit RGPD, introduction, point 4).

Elle rappelle également que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi (cass. soc. 30 septembre 2020, n° 19-12058 FSPBRI ; cass. soc. 25 novembre 2020, n° 17-19523 FPPBRI).

Ensuite, la Cour de cassation précise que les juges du fond doivent vérifier que cette communication :

-est nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de l'inégalité de traitement alléguée et proportionnée au but poursuivi ;

-et s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve des faits dont dépendait la solution du litige.

Enfin, si les éléments demandés sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, les juges doivent aussi vérifier quelles données sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi et, au besoin, cantonner le périmètre de la production de pièces sollicitée.

La Cour de cassation applique logiquement à la preuve de l’inégalité salariale entre hommes et femmes la même exigence méthodologique qu’elle a imposé en matière de preuve d’une discrimination (cass. soc. 22 septembre 2021, n° 19-26144 FB).

Dans cette affaire, les juges avaient parfaitement respecté cette démarche. Leur décision est donc confirmée.

Dotée de ces éléments, la salariée pourra tenter de démontrer l’inégalité salariale dont elle estimait être victime.

Cass. soc. 8 mars 2023, n° 21-12492 FSB